mercredi 17 janvier 2018

Primer - Shane Carruth - 2005






Dans un garage d’une banlieue étasunienne quelconque, quatre scientifiques travaillent sur une machine révolutionnaire ( une sorte de boite ) qui serait capable de réduire la masse des objets. Ils découvrent assez vite que cette invention va bien au-delà de ce à quoi ils s’attendaient puisqu’elle permet de voyager dans le temps. Ils vont alors en construire un modèle plus grand, capable de les envoyer eux-mêmes dans le temps afin de manipuler les marchés boursiers à leurs profits. Sauf que les sauts dans l’espace-temps créent des doubles incontrôlables.

Un film de «hard-science » qui prend le parti de perdre son spectateur, l’amenant au bout de la logique des paradoxes temporels tout en omettant de le prendre par la main, sans concession dans son approche jouant avec bonheur ( ou malheur c’est selon ) avec l’intelligence de celui qui le regarde.


Là où « Primer » est singulier c’est dans son approche du voyage temporel. Sans action, ni effets spéciaux, il se propose de faire reposer le concept sur l’approche psychologique et intellectuelle que vont subir les deux protagonistes principaux, leurs pensées, leurs doutes, la manière dont ils seront tentés d’utiliser ce pouvoir, et l’impact que cela aura sur leur relation et leur amitié. De la science-fiction révélatrice des comportements humains et qui par ricochet nous propose une vision pessimiste, mais hélas réaliste de l’ambition de ces jeunes gens, prêts à tout pour accéder à la richesse et la reconnaissance, au mépris de l’amitié, de la famille, des relations sociales.


L’histoire est donc construite autour de la découverte fortuite ( comme la majorité des inventions, celle-ci est due à un accident alors que les recherches s’orientaient vers autre chose : ici la volonté de réduire la masse d’un objet ) du voyage dans le temps à l’intérieur d’une « boite ». Comment celle-ci fonctionne-t-elle ? Sans entrer dans les détails sachez seulement qu’il n’est possible de se déplacer que dans le passé. Qu’il faut activer la machine et la laisser en quelque sorte se «charger » puis rentrer dedans pour émerger dans le passé au moment même où l’on a activé celle-ci . Ce qui crée un »double » de soi-même ( celui qui met en marche et celui qui arrive du futur). Le double existant alors autant que l’original, on imagine sans peine les ramifications vertigineuses que cela peut entraîner ( ou alors on imagine rien car on est largué). Transformation de son propre futur, perte de souvenir, danger de croiser son propre double, paradoxe temporel.

La grande force du film est qu’il va au bout de son concept. Puisqu’il s’agit de science et de discussions scientifiques, les dialogues seront ceux que pourraient effectivement tenir des chercheurs entre eux et il faut bien avouer qu’à moins d’avoir fait maths sup ou de posséder un diplôme en physique quantique, la plupart des concepts proposés passeront largement au-dessus de nos têtes. N’étant pas spécialement familier avec des termes comme thermodynamisme, supraconducteur, palladium, argon, diagramme de Feynmann, la masse et l’entropie d’un objet soumis à un champ gravitationnel et ce genre de barbarisme, on pourra éprouver une certaine difficulté à suivre l’intrigue.

Pourtant, au bout d’une petite demi-heure, le film s’oriente vers toute autre chose, passant à la vitesse supérieure en somme et en terme de compréhension on aura l’impression de tenter de comprendre ce qui pouvait bien se passer avant le Big-bang.

Au moment où nos deux compères s’aperçoivent de l’incroyable portée de leur invention, le film « dérape ». Absence  logique apparente, non linéarité de l’intrigue, montage alternant des scènes où l’on ne sait plus qui des «originaux » ou des « doubles « est à l’écran. Une sorte d’immense puzzle construit et déconstruit à l’envie et semble-t-il à l’infini où le seul lien qui semble unir le tout est la déliquescence progressive de l’amitié des deux comparses.

Sean Carruth propose un métrage unique en son genre, qui laissera de marbre ou enchantera selon que l’on pensera que le produit rend plus intelligent ou que celui-ci se prend pour plus intelligent que nous.


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